Un rapport ProtectDefenders.eu
ProtectDefenders.eu (PD.eu), le mécanisme de l’Union européenne pour les défenseur.e.s des droits humains, dirigé par un Consortium de 12 ONG internationales, a commandé le rapport « Le Panorama du Financement International Public Défense des Droits Humains » pour évaluer le financement institutionnel pour les défenseur.e.s des droits humains (DDH). S’appuyant sur une précédente étude menée en 2016-17, qui a mis en évidence une disparité entre le financement et les besoins croissants des défenseur.e.s, cette initiative vise à étudier la disponibilité et l’efficacité de l’aide publique au développement (APD) pour le travail en faveur des droits humains de 2017 à 2020. Grâce à une analyse approfondie des politiques des donateurs, des données financières et des points de vue des parties prenantes, notamment des défenseur.e.s des droits humains et des ONG internationales, l’étude cherche à stimuler le débat et la discussion afin d’améliorer le soutien aux DDH dans le monde entier. Elle utilise diverses méthodes de collecte de données, notamment des enquêtes, des entretiens et une analyse des besoins, pour aboutir à un rapport complet qui examine l’allocation des fonds, les obstacles à l’accès et l’efficacité de la localisation dans la distribution des fonds. En outre, le rapport comprend des études de cas détaillées sur les défenseurs des droits des femmes et des LGBTIQ+, ainsi qu’une analyse des priorités de financement dans la région MENA, tant du point de vue des donateurs que des défenseurs des droits humains.
Résumé Exécutif
Les données recueillies dans ce rapport montrent que le financement de la défense des droits humains n’a fait que stagner, alors que les besoins des défenseur-e-s restent loin d’être satisfaits.
L’analyse des données menée pour cette étude révèle un décalage entre le discours mettant l’accent sur une plus grande priorité accordée aux droits humains et au soutien aux droits humains et le financement réel, qui n’a pas augmenté de manière adéquate pour faire face à la détérioration de la situation mondiale. Si les versements dédiés à ce groupe ont progressivement augmenté en phase avec les niveaux d’aide au cours de la période examinée (2017-2020), ils représentent le même poids en termes d’aide publique au développement (APD) globale : oscillant toujours autour de 0,11 % de l’APD totale par an. Selon les données déclarées par les donateurs analysées en matière d’APD entre 2017 et 2020, ils ont contribué à hauteur de 639 millions de dollars aux DDH ; mais avec de grandes divergences entre les donateurs, depuis les principaux donateurs consacrant jusqu’à 1,07 % de l’aide totale au développement au DDH, jusqu’à deux qui n’ont signalé aucun projet axé sur le DDH. Trois donateurs (la Suède, les institutions européennes et les États-Unis) représentent ensemble près de la moitié des contributions totales aux défenseur-e-s des droits humains au cours de ces années, et même dans ce cas, ils ne représentent qu’environ 0,2 % de leur APD, tandis que certains donateurs plus petits en termes absolus ( comme l’Espagne , le Danemark et la Finlande) contribuent entre 0,8% et 0,9%.
Il est impératif que les donateurs suivent et enregistrent avec plus de précision les dépenses allouées aux défenseur-e-s des droits humains afin de mieux évaluer le soutien financier apporté aux défenseur-e-s des droits humains . Cette enquête a révélé des cas où les contributions ne sont pas suffisamment documentées. Certains financements peuvent ne pas être déclarés en raison de sensibilités politiques, tandis que d’autres peuvent être classés hors aide publique au développement. Il est essentiel que le soutien aux défenseur-e-s des droits humains soit clairement désigné comme une contribution à la gouvernance, à la démocratie et aux dépenses liées aux objectifs de développement durable (ODD), conformément à l’Agenda 2030. En outre, il est fortement recommandé d’adopter un codage du comité d’aide au développement (CAD) spécifique pour les DDH. Cela permettra aux donateurs de mieux identifier et suivre leurs dépenses. Sans de meilleures pratiques d’enregistrement, il est difficile d’évaluer le véritable impact et les tendances du soutien des donateurs au fil du temps.
Le soutien parvient encore principalement aux ONG du « Nord », mais par leur intermédiaire atteint de plus en plus les groupes locaux.
Malgré le Programme d’action d’Accra et d’autres engagements visant à « localiser » ou à augmenter l’aide versée directement aux acteurs et actrices au niveau local, les ONG internationales ou des pays donateurs (ONGI) restent de loin le canal de soutien le plus courant aux défenseur-e-s des droits humains. Ils représentent entre 76 % et 81 % du financement des donateurs en faveur des défenseur-e-s des droits humains, certains donateurs exprimant une nette préférence pour des partenaires internationaux plus connus et dotés de capacités administratives et de gestion significatives, ce qui sert également de justification pour leur fournir davantage de financement de base. Certaines ONG internationales sont également basées dans des pays partenaires mais sont enregistrées dans des pays donateurs, ce qui peut légèrement biaiser l’analyse, ou sont elles-mêmes des donateurs intermédiaires.
Selon les conclusions de cette étude, entre 47 % et 57 % du financement total des donateurs pour le DDH parvient aux ONG, groupes et mouvements locaux de défense des droits humains, soit directement, soit par l’intermédiaire d’ONG internationales. Cela comprend des subventions d’ONG internationales à des ONG locales, des mesures de protection et des activités visant à renforcer les compétences ou à développer les capacités des défenseur-e-s des droits humains. Les ONG des pays bénéficiaires, ou les ONG et groupes locaux, ont reçu directement environ 19 à 24 % du financement total destiné aux défenseur-e-s des droits humains. Une évolution positive est l’augmentation de 24% des fonds alloués à ces acteur-rices-s par rapport à la période précédente (2013-2016).
Les tendances régionales et thématiques révèlent une disparité croissante en matière de financement et un décalage par rapport aux besoins sur le terrain.
Si l’on compare les tendances régionales, la région des Amériques a reçu le plus de financements entre 2017 et 2020, tandis qu’à l’inverse, les financements ont diminué dans la région MENA (Moyen-Orient et Afrique du Nord). Les donateurs semblent préoccupés et aux prises avec une grave situation des droits humains qui ne s’est pas améliorée depuis le Printemps arabe. Il existe également une perception largement partagée selon laquelle les donateurs ont détourné leur attention des questions de droits humains pour donner la priorité à la stabilité, y compris la lutte contre le terrorisme, la migration et les intérêts commerciaux. Cependant, alors même que la tendance tend vers un espace civique plus restreint, de nombreuses personnes consultées dans le cadre de l’étude s’accordent à dire que les bailleurs de fonds doivent chercher à préserver cet espace et faire le nécessaire pour que le travail des défenseur-e-s des droits humains se poursuive. C’est précisément lorsque la situation s’aggrave que ce soutien est le plus nécessaire.
Sur le plan thématique, alors que plus de la moitié (58 %) de l’APD liée aux DDH est destinée à soutenir tous les DDH, le financement dédié aux défenseur-e-s des droits des femmes et LGBTIQ+ a augmenté de près de 60 %, tandis que le financement des DDH travaillant dans le domaine de la liberté d’expression et les questions liées à l’environnement, aux territoires et aux droits autochtones ont diminué de 13 % , malgré la place croissante accordée à ces questions dans l’agenda public.
Le financement ne correspond pas aux priorités et aux besoins croissants des défenseur-e-s des droits humains.
Même si les raisons varient selon la situation géographique, l’orientation thématique ou la taille des organisations bénéficiaires, tous les résultats de cette étude indiquent un problème persistant de financement insuffisant et mal conçu pour les organisations non gouvernementales (ONG) aux niveaux local, national et régional et le manque, en particulier, de financements de base , flexibles et à long terme qui permettent aux organisations et aux défenseur-e-s des droits humains d’accroître leur durabilité et leur résilience face aux crises. Cette situation découle parfois des politiques et stratégies actuelles des bailleurs de fonds, mais aussi de pratiques et positionnements liés aux héritages géopolitiques historiques et au lien avec les anciennes colonies.
Les perceptions exprimées dans le cadre de cette étude suggèrent que les donateurs peuvent sembler manquer d’une position politique basée sur les prinicipes qui donne la priorité aux droits humains plutôt qu’au maintien de relations financières et stratégiques avec les gouvernements nationaux, alors même que ces derniers limitent de plus en plus les libertés fondamentales dans toutes les régions du monde. L’absence ou la limitation des financements endogènes dédiés aux droits humains dans de nombreux pays accroît également la dépendance des ONG locales à l’égard des financements internationaux, augmentant ainsi leur vulnérabilité.
Une politique de soutien plus forte, permanente et globale aux défenseur-e-s des droits humains est nécessaire.
Plusieurs bailleurs de fonds soulignent que l’existence d’un large consensus politique national sur l’importance de soutenir les défenseur-e-s des droits humains doit être le point de départ pour permettre un engagement plus stratégique en faveur des droits humains avec les pays partenaires. Un tel consensus devrait faciliter le développement d’outils permettant un dialogue politique sensible et intégré dans les piliers fondamentaux des relations des donateurs avec les pays partenaires en matière de protection des défenseur-e-s des droits humains.
Sur la base des données et de l’analyse des besoins de cette étude, le soutien doit mieux atteindre les DDH des mouvements populaires et « difficiles à atteindre », tels que ceux qui travaillent sur les questions féministes et LGBTIQ+ , les mouvements informels et ceux en dehors des capitales, et des solutions innovantes doivent être trouvées pour les régions où les restrictions imposées à la société civile rendent le soutien difficile. La détérioration de la situation des droits humains va probablement se poursuivre à l’avenir, et les donateurs doivent être prêts à planifier à l’avance et à faire face à un monde de plus en plus imprévisible où les crises et les changements de priorités ne devraient pas avoir d’impact négatif sur le soutien au DDH.
Recommandations
Le rapport présente une compilation de recommandations provenant d’un large éventail de sources, y compris des entretiens avec des parties prenantes et de la littérature pertinente. Classées en quatre grands thèmes, ces recommandations soulignent la nécessité de i) accroître le financement et la confiance dans les défenseur-e-s des droits humains (DDH), ii) réduire les restrictions, iii) améliorer le soutien politique et diplomatique, et iv) renforcer le soutien institutionnel et la création d’alliances pour le développement des capacités.
Même si certaines recommandations peuvent sembler axées sur les donateurs, elles sont tout aussi importantes pour les organisations non-gouvernementales internationales (ONGI) qui soutiennent des tiers et sont essentielles pour les défenseur-e-s des droits humains et les ONG locales dans leurs efforts de plaidoyer auprès des donateurs institutionnels et individuels.
1. Recommandations sur le financement pour les DDH : augmenter le volume des financements, soutenir les besoins de financement exprimés par les défenseur-e-s des droits humains et construire des relations basées sur la confiance et le respect des défenseur-e-s.
Les principales recommandations de cette étude soulignent la nécessité d’augmenter le financement des donateurs en faveur des défenseur-e-s des droits humains. Cela implique non seulement une augmentation progressive standard liée à l’inflation, mais une augmentation nette substantielle par rapport aux années précédentes. L’objectif est d’augmenter à la fois le financement total destiné aux défenseur-e-s des droits humains et la proportion de l’aide publique au développement (APD) qui leur est allouée au-delà du 0,11 % actuel. En outre, à la suite des retours d’information et des recherches menées dans le cadre de cette étude, les donateurs sont invités à adapter leur financement aux besoins exprimés et articulés par les défenseur-e-s des droits humains et les communautés, ainsi qu’à renforcer leur confiance dans la société civile et dans les défenseur-e-s. La diversité des recommandations montre également qu’il existe de nombreuses manières par lesquelles les donateurs, les ONG internationales ou d’autres parties prenantes peuvent renforcer leur soutien.
2. Recommandations pour ajuster les restrictions et exigences financières, techniques et administratives des subventions aux défenseur-e-s des droits humains et à leurs organisations
La deuxième série de recommandations porte sur les restrictions et exigences complexes imposées au financement des défenseur-e-s des droits humains. Ces suggestions ont souvent été évoquées comme des frustrations que ressentent les défenseur-e-s des droits humains lorsqu’ils tentent d’accéder à un financement adapté à leurs besoins et à leur mode de fonctionnement, et sont étroitement liées à d’autres séries de recommandations.
3. Recommandations pour accroître les capacités des donateurs eux-mêmes et consulter la société civile pour mieux comprendre les besoins et les contextes
Cette étude compile plusieurs suggestions et recommandations qui incitent directement ou indirectement les donateurs à investir davantage de ressources dans leurs propres mécanismes de financement, capacités et infrastructures d’octroi de subventions. Ces suggestions découlent des défis soulevés par les défenseur-e-s des droits humains au niveau local, indiquant les moyens par lesquels les institutions donatrices peuvent résoudre ces problèmes. Cela signifie consacrer plus de temps, de budget et d’efforts pour parvenir à une compréhension plus approfondie des contextes nationaux ou thématiques spécifiques, des priorités et des défis auxquels sont confrontés les défenseur-e-s locaux des droits humains et des réalités, y compris les situations précaires des individus et de leurs organisations.
4. Recommandations pour garantir un soutien politique et diplomatique continu aux défenseur-e-s des droits humains et à leurs causes, aligné sur les investissements financiers
Bien que cette étude se concentre sur le financement des défenseur-e-s des droits humains, les investissements financiers ne peuvent à eux seuls compenser les lacunes du soutien non financier. Un soutien politique fort est crucial à la fois pour la protection des défenseur-e-s des droits humains et pour l’avancement de leurs causes. Par conséquent, les parties prenantes ont proposé plusieurs recommandations visant à accroître le soutien non financier ainsi que l’aide financière.
Téléchargez et explorer le Rapport de ProtectDefenders.eu | Le Panorama du Financement International Public de la Défense des Droits Humains (en anglais)
Vous pouvez aussi télécharger le résumé du rapport, qui présente un aperçu des principales conclusions et recommandations.
Ce rapport a été produit par protectdefenders.eu, un consortium de 12 Ong actives dans le domaine des droits humains:
Asian Forum for Human Rights and Development (FORUM-ASIA)
DefendDefenders – East and Horn of Africa Human Rights Defenders project
Euro-Mediterranean Foundation of Support to Human Rights Defenders (EMHRF)
ESCR-Net
Front Line Defenders
ILGA World
Peace Brigades International
Protection International
Reporters Without Borders
The International Federation for Human Rights (FIDH)
The World Organisation Against Torture (OMCT)
Urgent Action Fund for Feminist Activism (UAF)